Oui on mange du couscous au Sénégal!
Publié: 8 octobre 2019
Le Sénégal a remporté le 29 Septembre le championnat du monde de couscous. J’observe depuis quelques jours les réactions des uns et des autres face à cette nouvelle, et je peux vous dire que ça a fait grincer des dents.
Certaines personnes devraient simplement regarder plus loin que le bout de leur nez. Oui on mange du couscous au Sénégal, et pas que ! nous n’avons pas juste le thiéboudiène et le Yassa, notre gastronomie est diverse et variée.
Nourriture des grandes occasions pour certains, plats quotidiens pour d’autres, le couscous de mil par exemple est consommé depuis des siècles et constitue un plat identitaire pour beaucoup d’ethnies tels que les sérères.
Dans un Monde où toute signe de civilisation de la part de l’Afrique noire est attribuée à une influence magrébine ou occidentale, il est important de préciser que le couscous du Sahel n’a rien à avoir avec le couscous du Magreb, la base n’est pas le blé et les techniques de préparation sont spécifiques à l’Afrique subsaharienne.
Une diversité de recettes et d’appellations
Moins visible car concurrencée par des plats modernes comme le thieboudiene, le couscous ou thiéré est un plat important de la cuisine Sénégal. C’est à la fois un plat de fête (mariage, baptême...) et de subsistance. On compte plusieurs recettes en fonction des ethnies et des régions. La différence se situe souvent dans :
- La base, c’est-à-dire la céréale utilisée : mil, maïs, fonio, sorgho, riz…
- La sauce : à base de feuilles (par exemple le thiéré mboum à base de feuilles de moringa), à base de légumes, de poissons ou de viandes ou encore de laitages
Cere en wolof, lacciri en peul, saañ en sérère, futo en soninké, fûtu en mandinka, bàsi en bambara, la diversité de ses appellations dans l’ouest du Sahel, comme le témoignage des sources écrites, attestent l’ancienneté de sa présence dans cette région.
Dans sa Chronique de Guinée, L’archiviste et chroniqueur Eanes Gomes de Zurara précise les mets servis en 1447 au capitaine de caravelle Valarte lors de son escale à l’île de Palma, ancienne appellation de l’île de Gorée : « une chèvre, un chevreau, du couscous, de la bouillie, [...] du grain dont ils faisaient ce pain, du lait et du vin de palme » (1960 : 260)25. Dabs la Description de la Côte d’Afrique, rédigée quelques années plus tard par l’imprimeur et traducteur Valentim Fernandes. Celui-ci nous donne des informations sur les céréales utilisées. Il écrit ainsi à propos du royaume wolof du Djolof (Sénégal actuel) : « Leur nourriture principale est le cuscus qu’ils font avec du milho zaburro 27 ; ils le pilent dans un grand mortier de bois qu’ils ont pour cela et après ils le sèchent (secã) » (1951 : 14-15).
Le fonio, un couscous naturel
Le fonio, la graine la plus ancienne d’Afrique ressemble a de la semoule fine. C’est-à-dire sans même la rouler ou lui faire subir une transformation, elle apparaît comme du couscous. La céréale est simplement pilée et cuite à la vapeur.
Graines de fonio. Source: Saveurs Subsahariennes
Chez les Bassaris du Sénégal oriental, le « couscous » de fonio, appelé osasye, est un plat traditionnel. Il faut savoir que contrairement à d'autres peuples d'Afrique de l'Ouest, les Bassaris ont résisté aux razzias esclavagistes et à l'islamisation donc à l’influence occidentale et maghrébine. Cette ethnie de religion traditionnelle s'est réfugiée sur les hauts collines du Fouta-Djalon, où ils vivent dans les montagnes les plus hautes.
Le couscous de fonio est aussi consommé au Mali, dans le pays Dogon. Dans un témoignage d’Ibn Battûta qui décrit son voyage au milieu du XIVe siècle entre Oulata et le Mali, l’auteur note que dans les villages on trouve : « du mil, du petit lait, des poulets, de la farine de fruits de jujubier, du riz, du fonio – qui ressemble aux graines de moutarde et avec quoi on fait le kuskus et la ‘asida – et enfin de la farine de dolique» (Cuoq, 1975 :298).
Des techniques de cuisson spécifiques
Dans la préparation traditionnelle, le couscous de mil est ustensiles et des techniques spécifiques. C’est un travail de longue haleine, qui dure deux jours et qui est attribuée aux femmes.
D’abord, les grains de mil sont pilés à l’aide d’un pilon et d’un mortier en bois. Un panier rond et plat appelé layou en wolof est ensuite utilisé pour vaner la farine obtenue. Cette dernière est roulée à la main dans une grande calebasse puis cuit à la vapeur dans un couscoussier fait à base de terre. L’une des spécificités du couscous du Sahel est la fermentation. En effet, après le roulage de la farine de mil, le couscous est étalée et exposée toute la nuit avant d’être cuit à la vapeur le lendemain. Cette fermentation donne à la céréale un goût acide apprécié chez les Wolofs et les Sérères. La fermentation a aussi un intérêt du point de nutritionnelle, elle favorise l’apport en vitamine B2 au couscous.
L’autre particularité du couscous du Sahel est l’incorporation d’un produit mucilagineux. En effet pour rendre le couscous plus facile à manger et lui donner un meilleur goût, on ajoute des feuilles de baobab ou pilées ou de la sève de de Sterculia (mbeep en wolof). Cette composition visqueuse est appelée « Lalo », elle permet également d’enrichir le couscous en micronutriments et en oligo-éléments et de mieux le conserver. On retrouve cette technique dans la préparation du fonio et d’autres céréales subsahariennes.
Ajout du Lalo dans le couscous de mil. Source Senecuisine.com
On oublie trop souvent que le couscous est présent depuis plusieurs siècles dans l'ouest du Sahel, comme plat quotidien, mets de fête, collation ou nourriture de voyage. La diversité de ses appellations, les techniques de préparations spécifiques et sa présence ancrée dans les traditions montre clairement une vraie culture du couscous dans l’Ouest du Sahel. Donc oui, on mange du couscous au Sénégal !
Bibliographie:
- Saveurs Subsahariennes, Ndèye Aïssatou Mbaye
- Monique Chastanet. Couscous ’à la sahélienne’ (Sénégal, Mali, Mauritanie). Franconie Hélène, Chastanet Monique et Sigaut François. Couscous, boulgour et polenta. Transformer et consommer les céréales dans le monde, Karthala, p. 149-187, 2010.